L'édito d'Alex : septembre 2024
Mesclun de rentrée
L’été n’est pas la période la plus agréable sur la Côte d’Azur.
Heureusement, les fortes chaleurs se concluent par des orages et sont suivies d’un rafraîchissement brutal. Avec l’automne la région redevient agréable, offrant des journées ensoleillées et plus brèves, avec un air sec et limpide qui procure une sensation de fraicheur.
Après la surconsommation touristique et les festivals de vingt mille personnes, même avec parfois leur lot de bonnes surprises, on va pouvoir retrouver le So What et le festival « Jazz sous les Bigaradiers ». Revivre cette convivialité qui reste notre marque de fabrique. Très vite va arriver novembre et le mesclun des meilleurs musiciens régionaux et des pointures internationales. Avec cette ambiance de proximité qui leur permet de se régaler à donner le meilleur d’eux-mêmes à un public qui n’est pas de consommateurs, mais d’amis.
L'édito d'Alex : août 2024
Rien n’est vraiment à soi
Georges Brassens disait dans une interview : « je pense que si on enlevait tout ce que les autres m’ont donné, si l’on pouvait effacer toutes les influences reçues depuis l’enfance (…), il resterait vraiment peu de choses. Rien n’est vraiment à soi. »
C’est un avis que je partage depuis toujours. Ainsi, lorsqu’un musicien de Jazz improvise ou interprète un thème, même le sien, des images, des phrases, des idées qui lui viennent à l’esprit sont des traces de phrases musicales déjà entendues.
On repère parfois la source de quelques unes de ces traces en réécoutant des CD de grands Jazzmen. Mais, pas que… il y a aussi toutes les notes des musiciens qui viennent jouer au So What depuis tant de belles années, et qui imprègnent les murs. Et encore (surtout ?) les phrases que les autres musiciens de la Compagnie So What viennent de jouer et que l’on reprend, ou poursuit, ou complète.
Et ces traces, on les joue pour chaque personne dans la salle. Être sur scène, ce n’est pas dire « écoutez-moi », c’est penser « qu’est ce que je peux apporter au groupe, et offrir à ceux qui nous écoutent. »
C’est se régaler en écoutant les autres musiciens jouer pour le public.
(photo : Sophie Serafino)
L'édito d'Alex, juin 2024
De l’importance du silence et de la retenue dans le Jazz
Contrairement à Raymond Devos qui affirmait : « Moi, lorsque je n'ai rien à dire, je veux qu'on le sache », j’ai quelque chose à vous dire et je souhaite que vous le sachiez.
J’ai découvert Miles Davis l’année du Bac.
Bien sûr, le son de sa trompette ne m’était pas inconnu et j’avais vu (et écouté la musique de...) « Ascenseur pour l’échafaud ». Mais j’arrivais à un âge où on analyse mieux ce qui se passe entre nos deux oreilles. Et en préparant une soupe au pistou pour les 4’Z’Arts* à Coursegoules, j’ai vraiment entendu à la radio cette musique. L’intelligence du thème, le phrasé reconnaissable entre mille (Davis). Il devint dès lors l’homme qui me calme, qui sait ne pas faire trop de notes. Je n’eus de cesse alors de collectionner ses albums.
Les c’étaitmieuxavantistes n’ont qu’à bien se tenir. Il sut évoluer et rester intemporel.
Plus qu’un simple musicien, il fut un compositeur, un innovateur et un visionnaire.
Il disait aux jeunes musiciens, qu’il savait découvrir, que l’important, « ce ne sont pas les notes que vous jouez, mais les notes que vous ne jouez pas. » II dit tout avec une superbe économie de moyens. J’ai depuis aimé beaucoup d’autre immenses musiciens, mais n’y ai jamais rencontré la même concision. Il savait quand ne pas jouer, laissant l’espace entre les notes parler pour lui. Et si, parfois, il se bouchait les oreilles sur scène, c’était pour mieux entendre les solos des autres musiciens.
Un coup à choisir le nom de So What pour un club et une compagnie de Jazz... et alors !
* ancêtres de la Compagnie So What
L'édito d'Alex, mai 2024
Souvenir de réflexions échangées dans les jardins de Cimiez en 85 ou 88, lors d’un concert de Miles Davis,
juchés sur un olivier
- Quand on entend ça, on se sent tout petit.
- Non, quand on se lance dans la pratique du Jazz, il ne faut pas se laisser impressionner par les grands maitres. Retenir leur leçon, OK. Leur piquer une phrase, un effet, un silence, OK. Mais les grands musiciens de Jazz ne sont pas là pour qu’on les surpasse.
Il ne faut pas s’employer à les copier, à plagier leur style, pour tenter d’être plus forts qu’eux, c’est perdu d’avance et ça ne sert à rien.
- On a vu des écrivains tenter de faire du Blaise Cendrars ou du Romain Gary, prenant les même thèmes, essayant de vivre la même vie, se promenant dans les même quartiers de la Buffa à Nice, sans succès.
- Il n’y a qu’un seul Miles Davis, qu’un seul Coltrane, qu’un seul Bix Beiderbecke, qu’un seul Eric Dolphy, qu’un seul Jimi Hendrix, qu’un seul Wes Montgomery, pour ne parler que des morts.
- Il faut donc tout mettre en œuvre pour parvenir à leur niveau, avec notre propre personnalité, sur une même horizontale, en empruntant un peu à tout le monde... comme ils l’ont fait eux-mêmes. On construit un style, individuel, ou d’orchestre de Jazz, en digérant chacun nos multiples influences. Tous les maîtres ont eu des maîtres avant eux.
- Au début, bien sûr, nos emprunts s’agencent mal. Puis on remarque, comme si on était passé en mode intelligence artificielle, qu’un style se met en place sans qu’on y réfléchisse. Il ne faut surtout pas vouloir fabriquer un son individuel ou de groupe en surajoutant des idées ou des instruments de manière artificielle au risque d’aller tout droit dans le mur. Il faut attendre, rester simple en rendant grâce à nos ancêtres.
Mais ne pas non plus faire trop modestes.
Quand on commence à trouver un travail intéressant, il faut rester réservé sans tomber dans une humilité trop prononcée qui risque de nous rendre incapable d’oser être encore meilleur. Écouter les enregistrements de répétitions et en garder le meilleur pour la séquence d’après.
Bon, tout ça c’est de la théorie. Pour ce qui est de la pratique, il suffit de temps, de travail, et d’amitié !
Miles Davis à Nice (photo : Olivier Nurock)
L'édito d'Alex, mars 2024
Au commencement était le rythme, et le rythme s’est fait chair
Moravagine (Blaise Cendrars)
L’étude serrée d’une partition de Jazz ne nous fera jamais découvrir cette palpitation initiale qui est celle du noyau générateur de l’œuvre. Elle dépend de l’état général de l’auteur, de son hérédité, de la structure de son cerveau, de la rapidité de ses réflexes, de son érotisme, etc.
Il n’y a pas de science de l’homme sans comprendre qu’il est essentiellement porteur d’un rythme. Il n’y a pas de science du Jazz. La musique en général, comme toute science, est tronquée. Le professeur Hugo Riemann fut le philologue de chaque note. A l’aide de l’étude comparée des instruments de musique, il voulut reconstituer l’étymologie de chaque son, remontant jusqu’à leur source vibratoire. Et pourtant, son activité de compositeur ne fut pas convaincante.
Il ne faut pas confondre musicien et grammairien de la musique.
De même certains musiciens de Jazz ont décortiqué, recopié et appris par cœur, après des semaines de travail, les improvisations d’un Charlie Parker ou d’un John Coltrane, pour les jouer à leur tour. Le résultat fut là aussi décevant. Les accents physiques du mouvement, la sonorité, le timbre manquaient. La pâle reconstitution, mathématiquement parfaite, ne reproduisait rien de la structure interne, de l’articulation innée, de l’esprit et du souffle qui amplifient, jusqu’à la valeur d’une signification, une sonorité creuse.
Une seule note de Miles Davis peut contenir toute une vie. Que n’atteindront jamais les spécialistes de la triple croche.
De même comment expliquer le petit miracle qui fait que dans un groupe, le même morceau, rejoué cent fois, prenne d’un coup une dimension supérieure. Rien, sinon le plaisir de la musique et l’âme de l’improvisation qui n’ont rien à voir avec la technique, fut-elle parfaite.
Verlaine nous rappelle que la musique, la nuance, la subtilité, la mélodie sont essentielles, bien plus que la rigidité des règles.
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
NB : Blaise Cendrars nous apprend que Moravagine fut désespéré, après avoir étudié les théories de la musique pendant trois ans, pour ensuite se rapprocher du rythme originel, comprenant que ces études ne le menaient à rien.
Portrait de Blaise Cendrars, par Amedeo Modigliani (19717)
L'édito d'Alex, janvier 2024
En faire trop...
Quand on a fini un set, au So What ou ailleurs, ou après la clôture du « Jazz sous les Bigaradiers », on nous dit parfois : vous avez l’air fatigué, c’est normal, avec tout ce que vous faites !
Vous ne pouvez pas savoir combien c’est agaçant d’entendre ça. On n’est pas fatigué, on est heureux.
Et puis même si on est fatigué, c’est parce qu’on a œuvré pour offrir le maximum à la musique de Jazz et au public.
Alors, on dédie à tous les « rougnous » qui décident parfois pour nous qu’on en fait un peu trop, un extrait d’un superbe poème de Robert Lamoureux « Éloge de la fatigue », dans lequel celui qu’on prend souvent pour un saltimbanque dresse une ode à celle qui lui ruinait « la voix, le cœur, la rate ».
La fatigue, pour un musicien de Jazz (et pour les artistes en général), c’est d’avoir travaillé et donné ses tripes pour les autres.
La fatigue, c’est « le prix toujours juste » de soirées bien remplies. Et c’est la preuve, aussi, qu'on marche avec la vie.
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Éloge de la fatigue (extrait) :
"Vous me dites, Monsieur, que j’ai mauvaise mine,
Qu’avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l’on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Oui je suis fatigué, Monsieur, et je m’en flatte.
J’ai tout de fatigué, la voix, le cœur, la rate,
Je m’endors épuisé, je me réveille las,
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas.
Ou quand je m’en soucie, je me ridiculise.
La fatigue souvent n’est qu’une vantardise.
On n’est jamais aussi fatigué qu’on le croit !
Et quand cela serait, n’en a-t-on pas le droit ?
Où prendrait-on le droit d’être trop fatigué ?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure,
Marquant chaque victoire, en creux, sur la figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d’autres creux il passe inaperçu.
La fatigue, Monsieur, c’est un prix toujours juste,
C’est le prix d’une journée d’efforts et de luttes.
C’est le prix d’un labeur, d’un mur ou d’un exploit,
Non pas le prix qu’on paie, mais celui qu’on reçoit.
C’est le prix d’un travail, d’une journée remplie,
C’est la preuve, Monsieur, qu’on vit avec la vie.
Et vous me conseillez d’aller me reposer !
Mais si j’acceptais là, ce que vous me proposez,
Si j’abandonnais à votre douce intrigue…
Mais je mourrais, Monsieur, tristement… de fatigue."
Robert Lamoureux
L'édito d'Alex, septembre 2023
Écoute et lecture accélérées
Connaissez-vous cette nouvelle mode d'écouter des « podcasts » et autres « replays » à vitesse fois deux ?
Il parait que c’est parce que tout le monde est pressé.
Pourquoi écouter les gens parler plus vite ? Eh bien pour rentabiliser chaque instant parait-il.
Vérifiez, cette option est proposée sur Youtube, Netflix, et même… France Culture.
Pour ne pas mourir imbécile, j’ai testé des chroniques de « France cul ». Elles durent deux fois moins longtemps.
Mais l’écoute n’est pas qu’un enchaînement de phrases. Il y faut un rythme, une musique, des silences pour comprendre. C’est comme manger deux fois plus vite des merda de can… on sent moins le goût et ça reste sur l’estomac.
J’aime bien aussi lire lentement. Il m’arrive même de ralentir à la fin d’un bon polar pour faire durer mon plaisir de découverte.
Et le Jazz dans tout ça ?
Il y a l’écoute… et le travail.
Pour l’écoute, j’imagine mal écouter « Complete communion » vitesse fois deux... Et vous ?
Pour le travail, je repense à ce vieux prof du conservatoire qui me faisait recommencer des exercices mal digérés de la méthode de clarinette et me disait : « allons doucement, nous sommes pressés ».
Et si, au contraire, on réussissait mieux en prenant le temps de s’appliquer ?
Refaire dix fois le même morceau, voire le même passage avec la difficulté d’une note « en l’air », pour n’avoir plus que le plaisir de l’interprétation ! Oser enfin des silences et allonger les introductions pour créer un climat.
Et, pour terminer, citons un autre clarinettiste (sic), Woody Allen :
« J’ai pris un cours de lecture rapide et j’ai pu lire Guerre et Paix en 20 minutes. De ce que j’ai compris, ça parle de la Russie. »
J’espère ne pas avoir été trop long !
L'édito d'Alex : mai 2023
Fête de la musique : « Esprit es-tu las ? »
Souvenons-nous du slogan relayé en 1982 par Jack Lang : « La musique partout, le concert nulle part ».
La spontanéité de l'événement à ses débuts, ne donne plus le « La » du 21 juin.
Avant, on se pointait à la dernière minute devant les studios de TSF place Saint-François en vieille ville. On tirait une ligne électrique et c'était bon : on pouvait jouer dans une ambiance de kermesse improvisée. À l'arrache. « Faites de la musique ! », matraquaient les premiers spots radio. Quarante ans ont passé. La Fête de la musique est devenue « organisée » par les mairies et/ou les restos. Comme ça on fait le plein !
Les grosses municipalités installent de grosses scènes, et « invitent » des artistes professionnels (avec la bénédiction de la Sacem). Et cela a tué la pratique amateur.
La Fête de la musique institutionnalisée est devenue un bien marchand comme les « fêtes des mères ou des pères ».
Alors pour la Compagnie So What... c’est le seul jour de l’année où l’on ne jouera pas.
Papi fait de la résistance, de l’anarcho-Jazz en quelque sorte !
Et puis ce n’est pas parce que c’est la fête de la musique que tout le monde doit se croire obligé d’en jouer. La preuve, c’est que c’est parce que c’est la Toussaint que tout le monde doit faire le mort !
L'édito d'Alex, janvier 2023
Secrets de répétitions : interpréter un morceau
Il y a une vraie complicité entre les musiciens depuis très longtemps, et un vrai bonheur de parler, les uns et les autres, de ce qui occupe à peu près toute nos réflexions de musiciens de Jazz : interpréter.
Ça peut prendre des dimensions quasiment philosophiques : chacun pour ce qu’il pense du morceau et de son arrangement avant de le fixer pour le public. Et puis, le reprendre parfois quelques années plus tard et le réinterpréter. Les musiciens sont passionnés par le fait de lire un thème pour pouvoir ensuite improviser et le partager avec le public.
Un échange réel, pas toujours facile, mais constructif. Chacun emmène son idée à l’arrangement final. Des arrangements qui deviennent communs, préparés entre nous, et qu’on essaie de partager ensuite avec le public.
Parfois, on n’arrange rien du tout, on commence à jouer et on comprend tout de suite qui doit commencer à improviser, ou à quel moment il faut jouer en duo ou en collectif. Et on le note pour ne pas l’oublier.
Un parallèle avec le théatre et une phrase de Jeanne Moreau : « Un texte, il faut le savoir plus que par cœur ». Ça veut dire quoi ? Quand on offre un arrangement, une interprétation, après des heures et des heures de répétition, seul puis en groupe, le public nous voit vraiment travailler.
L'édito d'Alex, décembre 2022
Le Jazz d’Epicure
Dans le parler de tous les jours, la notion d’hédonisme désigne une vie de jouissance, plutôt un peu amorale. Ceci est inexact, bien sûr. Epicure, philosophe du plaisir, décrit ce qu’est une vie heureuse d’une manière extrêmement sceptique : on éprouve du plaisir lorsqu’on ne souffre pas. C’est donc la souffrance qui est à la base de l’hédonisme. On est heureux lorsqu’on sait écarter la souffrance.
Et comme les plaisirs apportent plus souvent du malheur que du bonheur, Epicure ne conseille que des plaisirs modestes.
Un petit fond de mélancolie dans le blues d’Epicure non ?
Epicure apprend à ses disciples que la seule valeur évidente et sûre de la vie est le plaisir, si modeste soit-il, que l’homme peut ressentir lui-même. La première gorgée de bière, une note « out » placée au bon moment, un spectateur du premier rang qui semble prendre du plaisir à écouter un solo.
Modestes ou non, les plaisirs n’appartiennent qu’à ceux qui les éprouvent ; on pourrait reprocher à Epicure ce comportement égoïste. Alors, prendre plaisir à jouer du Jazz, est-ce un leurre de philosophe ? N’est-ce pas, plutôt, espérer donner du plaisir à celui qui écoute, ou aux musiciens avec qui on joue ?
Il faut attendre le XVIIIème siècle et Choderlos de Laclos avec « les liaisons dangereuses » pour faire sortir à nouveau de l’ombre la notion de plaisir, et faire disparaître les interdits moraux. Ses personnages ne se préoccupent que de la conquête du plaisir. Mais le lecteur comprend peu à peu que ce n’est pas le désir de plaisir, mais le désir de victoire qui mène la danse.
Alors, en Jazz, le plaisir, est-ce une victoire sur les autres, les fameuses «battles », une victoire sur les spectateurs, ou tout simplement une victoire sur soi-même ?
Qui ne se souvient que, lorsqu’il était enfant, on lui faisait entendre le murmure de la mer en posant un coquillage contre son oreille. Et on nous expliquait que la mer était pour toujours enfermée dans le coquillage. Est-ce cela le paradis du plaisir, celui de vivre sa musique à jamais dans une coquille résonnante ?
Epicure a aussi écrit : « l’homme sage ne cherche aucune activité liée à la lutte. »
L'édito d'Alex, octobre 2022
Le souffle des musiciens de Jazz ou des coureurs à pied
Plaisir de l’instant
Le musicien penché sur son instrument ne peut se concentrer que sur la seconde présente de son improvisation ; il s’accroche à un fragment de temps, coupé et du passé et de l’avenir ; il est en dehors du temps ; dans cet état, il ne sait rien de sa femme, rien de ses enfants, rien de ses soucis, et partant, il n’a pas peur, car la source de la peur est dans l’avenir, et qui est libéré de l’avenir n’a rien à craindre.
Le Jazz est un plaisir dont les instruments de musique ont fait cadeau à l’homme. Contrairement au musicien de Jazz et à son souffle, le coureur à pied, par exemple, est toujours présent dans son corps, obligé sans cesse de penser à ses ampoules ou à son essoufflement ; quand il court il sent son poids, son âge, conscient plus que jamais de lui-même et du temps de sa vie. Tout change quand l’homme délègue son souffle à un instrument ; dès lors, son propre corps se trouve hors du jeu et il s’adonne à une improvisation qui est immatérielle, musique pure, Jazz plaisir. Sans compter le petit miracle de l’improvisation de Jazz en groupe, la communion en un seul son.
Curieuse alliance : la froide impersonnalité de la technique instrumentale, les flammes du plaisir d’un orchestre de Jazz et le miracle d’un instantané photo. Merci Sophie Serafino pour la photo !
L'EDITO D'ALEX - Octobre 2021 : un rien de partition...
Imaginez que vous soyez musicien dans un groupe de Jazz et que, juste avant de jouer en public, vous n’arrivez pas à remettre la main sur la partition de ce nouveau morceau que tout le monde attend. Vous allez fouiller partout, fébrilement, dans la pièce d’à côté, dans les partitions du concert précédent... et si elle reste introuvable, à la question d’un autre musicien, « sont pas là par hasard », vous répondez « non, il n’y a rien ».
Il est portant inexact de le dire. Il n’y a pas rien dans la pièce d’à côté. Il y a des tas de trucs, des assiettes sales, des verres vides, des vieilles partitions en vrac, des affiches de « Jazz sous les Bigaradiers 2021 », des flyers... En disant « je ne trouve rien », vous dites en réalité autre chose. Vous dites : « il n’y a pas dans cette pièce (ni ailleurs d’ailleurs) la partition que je cherche ». Et c’est l’absence de ce que vous cherchez qui vous fait parler à tort de « Rien ». Vous avez perçu une pièce remplie, mais vous attendiez autre chose, et votre déception l’emportant sur votre perception, vous avez dit « il n’y a rien ».
Comme son nom l’indique, le Rien n’est rien. Mais rien n’est rien ! Tout est déjà quelque chose !
Or, le Rien n’est pas aisé à définir. Le Rien n’est pas le Vide, qui est une réalité physique.
Ni le Néant, qui relève de la métaphysique.
Et le Rien n’est pas non plus le dérisoire « trois fois rien, comme disait Raymond Devos, c’est déjà quelque chose. »
Le Rien n’est rien de tout ça.
Le Rien, n’est que le nom que l’on donne à une attente déçue.
Le fait de dire, agacé, « il n’y a rien » plutôt que « je ne trouve pas ce que je cherche » est une erreur qui vaut pour ses clefs de voiture, ses lunettes, ou la baguette de pain...
C’est le même discours egocentrique. Ce « rien » n’est que la mesure de mon espoir, et que, par conséquent, dire « il n’y a rien » (quand on ne trouve pas la partition que l’on cherche sous le regard des autres) revient à confondre le réel avec le désir qu’on a, de croire que le monde est affreux tant qu’il n’est pas parfait... qu’il n’y a rien à faire tant qu’on ne peut pas tout changer.
Et dans ces cas-là, le plus souvent, ce qu’on raconte vaut moins que rien !