Les éditos

L'édito d'Alex : septembre 2024


Mesclun de rentrée


L’été n’est pas la période la plus agréable sur la Côte d’Azur.

Heureusement, les fortes chaleurs se concluent par des orages et sont suivies d’un rafraîchissement brutal. Avec l’automne la région redevient agréable, offrant des journées ensoleillées et plus brèves, avec un air sec et limpide qui procure une sensation de fraicheur.

Après la surconsommation touristique et les festivals de vingt mille personnes, même avec parfois leur lot de bonnes surprises, on va pouvoir retrouver le So What et le festival « Jazz sous les Bigaradiers ». Revivre cette convivialité qui reste notre marque de fabrique. Très vite va arriver novembre et le mesclun des meilleurs musiciens régionaux et des pointures internationales. Avec cette ambiance de proximité qui leur permet de se régaler à donner le meilleur d’eux-mêmes à un public qui n’est pas de consommateurs, mais d’amis.


L'édito d'Alex : août 2024


Rien n’est vraiment à soi


Georges Brassens disait dans une interview : « je pense que si on enlevait tout ce que les autres m’ont donné, si l’on pouvait effacer toutes les influences reçues depuis l’enfance (…), il resterait vraiment peu de choses. Rien n’est vraiment à soi. »

C’est un avis que je partage depuis toujours. Ainsi, lorsqu’un musicien de Jazz improvise ou interprète un thème, même le sien, des images, des phrases, des idées qui lui viennent à l’esprit sont des traces de phrases musicales déjà entendues.

On repère parfois la source de quelques unes de ces traces en réécoutant des CD de grands Jazzmen. Mais, pas que… il y a aussi toutes les notes des musiciens qui viennent jouer au So What depuis tant de belles années, et qui imprègnent les murs. Et encore (surtout ?) les phrases que les autres musiciens de la Compagnie So What viennent de jouer et que l’on reprend, ou poursuit, ou complète.

Et ces traces, on les joue pour chaque personne dans la salle. Être sur scène, ce n’est pas dire « écoutez-moi », c’est penser « qu’est ce que je peux apporter au groupe, et offrir à ceux qui nous écoutent. »

C’est se régaler en écoutant les autres musiciens jouer pour le public.

(photo : Sophie Serafino)

L'édito d'Alex, juin 2024



De l’importance du silence et de la retenue dans le Jazz


Contrairement à Raymond Devos qui affirmait : « Moi, lorsque je n'ai rien à dire, je veux qu'on le sache », j’ai quelque chose à vous dire et je souhaite que vous le sachiez.


J’ai découvert Miles Davis l’année du Bac.

Bien sûr, le son de sa trompette ne m’était pas inconnu et j’avais vu (et écouté la musique de...) « Ascenseur pour l’échafaud ». Mais j’arrivais à un âge où on analyse mieux ce qui se passe entre nos deux oreilles. Et en préparant une soupe au pistou pour les 4’Z’Arts* à Coursegoules, j’ai vraiment entendu à la radio cette musique. L’intelligence du thème, le phrasé reconnaissable entre mille (Davis). Il devint dès lors l’homme qui me calme, qui sait ne pas faire trop de notes. Je n’eus de cesse alors de collectionner ses albums.

Les c’étaitmieuxavantistes n’ont qu’à bien se tenir. Il sut évoluer et rester intemporel.

Plus qu’un simple musicien, il fut un compositeur, un innovateur et un visionnaire.

Il disait aux jeunes musiciens, qu’il savait découvrir, que l’important, « ce ne sont pas les notes que vous jouez, mais les notes que vous ne jouez pas. » II dit tout avec une superbe économie de moyens. J’ai depuis aimé beaucoup d’autre immenses musiciens, mais n’y ai jamais rencontré la même concision. Il savait quand ne pas jouer, laissant l’espace entre les notes parler pour lui. Et si, parfois, il se bouchait les oreilles sur scène, c’était pour mieux entendre les solos des autres musiciens.


Un coup à choisir le nom de So What pour un club et une compagnie de Jazz... et alors !


* ancêtres de la Compagnie So What



L'édito d'Alex, mai 2024



Souvenir de réflexions échangées dans les jardins de Cimiez en 85 ou 88, lors d’un concert de Miles Davis,

juchés sur un olivier


- Quand on entend ça, on se sent tout petit.

- Non, quand on se lance dans la pratique du Jazz, il ne faut pas se laisser impressionner par les grands maitres. Retenir leur leçon, OK. Leur piquer une phrase, un effet, un silence, OK. Mais les grands musiciens de Jazz ne sont pas là pour qu’on les surpasse.

Il ne faut pas s’employer à les copier, à plagier leur style, pour tenter d’être plus forts qu’eux, c’est perdu d’avance et ça ne sert à rien.

- On a vu des écrivains tenter de faire du Blaise Cendrars ou du Romain Gary, prenant les même thèmes, essayant de vivre la même vie, se promenant dans les même quartiers de la Buffa à Nice, sans succès.

- Il n’y a qu’un seul Miles Davis, qu’un seul Coltrane, qu’un seul Bix Beiderbecke, qu’un seul Eric Dolphy, qu’un seul Jimi Hendrix, qu’un seul Wes Montgomery, pour ne parler que des morts.

- Il faut donc tout mettre en œuvre pour parvenir à leur niveau, avec notre propre personnalité, sur une même horizontale, en empruntant un peu à tout le monde... comme ils l’ont fait eux-mêmes. On construit un style, individuel, ou d’orchestre de Jazz, en digérant chacun nos multiples influences. Tous les maîtres ont eu des maîtres avant eux.

- Au début, bien sûr, nos emprunts s’agencent mal. Puis on remarque, comme si on était passé en mode intelligence artificielle, qu’un style se met en place sans qu’on y réfléchisse. Il ne faut surtout pas vouloir fabriquer un son individuel ou de groupe en surajoutant des idées ou des instruments de manière artificielle au risque d’aller tout droit dans le mur. Il faut attendre, rester simple en rendant grâce à nos ancêtres.

Mais ne pas non plus faire trop modestes.

Quand on commence à trouver un travail intéressant, il faut rester réservé sans tomber dans une humilité trop prononcée qui risque de nous rendre incapable d’oser être encore meilleur. Écouter les enregistrements de répétitions et en garder le meilleur pour la séquence d’après.


Bon, tout ça c’est de la théorie. Pour ce qui est de la pratique, il suffit de temps, de travail, et d’amitié !


Miles Davis à Nice (photo : Olivier Nurock)

L'édito d'Alex, mars 2024


Au commencement était le rythme, et le rythme s’est fait chair

Moravagine (Blaise Cendrars)


L’étude serrée d’une partition de Jazz ne nous fera jamais découvrir cette palpitation initiale qui est celle du noyau générateur de l’œuvre. Elle dépend de l’état général de l’auteur, de son hérédité, de la structure de son cerveau, de la rapidité de ses réflexes, de son érotisme, etc.

Il n’y a pas de science de l’homme sans comprendre qu’il est essentiellement porteur d’un rythme. Il n’y a pas de science du Jazz. La musique en général, comme toute science, est tronquée. Le professeur Hugo Riemann fut le philologue de chaque note. A l’aide de l’étude comparée des instruments de musique, il voulut reconstituer l’étymologie de chaque son, remontant jusqu’à leur source vibratoire. Et pourtant, son activité de compositeur ne fut pas convaincante.

Il ne faut pas confondre musicien et grammairien de la musique.

De même certains musiciens de Jazz ont décortiqué, recopié et appris par cœur, après des semaines de travail, les improvisations d’un Charlie Parker ou d’un John Coltrane, pour les jouer à leur tour. Le résultat fut là aussi décevant. Les accents physiques du mouvement, la sonorité, le timbre manquaient. La pâle reconstitution, mathématiquement parfaite, ne reproduisait rien de la structure interne, de l’articulation innée, de l’esprit et du souffle qui amplifient, jusqu’à la valeur d’une signification, une sonorité creuse.

Une seule note de Miles Davis peut contenir toute une vie. Que n’atteindront jamais les spécialistes de la triple croche.

De même comment expliquer le petit miracle qui fait que dans un groupe, le même morceau, rejoué cent fois, prenne d’un coup une dimension supérieure. Rien, sinon le plaisir de la musique et l’âme de l’improvisation qui n’ont rien à voir avec la technique, fut-elle parfaite.

Verlaine nous rappelle que la musique, la nuance, la subtilité, la mélodie sont essentielles, bien plus que la rigidité des règles.

De la musique avant toute chose,

Et pour cela préfère l’Impair

Plus vague et plus soluble dans l’air,

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.


NB : Blaise Cendrars nous apprend que Moravagine fut désespéré, après avoir étudié les théories de la musique pendant trois ans, pour ensuite se rapprocher du rythme originel, comprenant que ces études ne le menaient à rien.

Portrait de Blaise Cendrars, par Amedeo Modigliani (19717)

L'édito d'Alex, janvier 2024


En faire trop...


Quand on a fini un set, au So What ou ailleurs, ou après la clôture du « Jazz sous les Bigaradiers », on nous dit parfois : vous avez l’air fatigué, c’est normal, avec tout ce que vous faites !

Vous ne pouvez pas savoir combien c’est agaçant d’entendre ça. On n’est pas fatigué, on est heureux.

Et puis même si on est fatigué, c’est parce qu’on a œuvré pour offrir le maximum à la musique de Jazz et au public.

Alors, on dédie à tous les « rougnous » qui décident parfois pour nous qu’on en fait un peu trop, un extrait d’un superbe poème de Robert Lamoureux « Éloge de la fatigue », dans lequel celui qu’on prend souvent pour un saltimbanque dresse une ode à celle qui lui ruinait « la voix, le cœur, la rate ».

La fatigue, pour un musicien de Jazz (et pour les artistes en général), c’est d’avoir travaillé et donné ses tripes pour les autres.

La fatigue, c’est « le prix toujours juste » de soirées bien remplies. Et c’est la preuve, aussi, qu'on marche avec la vie.


Retrouvez les autres éditos ICI

Éloge de la fatigue (extrait) :


"Vous me dites, Monsieur, que j’ai mauvaise mine,
Qu’avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l’on ne gagne rien à trop se prodiguer,
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Oui je suis fatigué, Monsieur, et je m’en flatte.
J’ai tout de fatigué, la voix, le cœur, la rate,
Je m’endors épuisé, je me réveille las,

Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas.
Ou quand je m’en soucie, je me ridiculise.
La fatigue souvent n’est qu’une vantardise.
On n’est jamais aussi fatigué qu’on le croit !
Et quand cela serait, n’en a-t-on pas le droit ?

Où prendrait-on le droit d’être trop fatigué ?
Ceux qui font de leur vie une belle aventure,
Marquant chaque victoire, en creux, sur la figure,
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d’autres creux il passe inaperçu.

La fatigue, Monsieur, c’est un prix toujours juste,
C’est le prix d’une journée d’efforts et de luttes.
C’est le prix d’un labeur, d’un mur ou d’un exploit,
Non pas le prix qu’on paie, mais celui qu’on reçoit.
C’est le prix d’un travail, d’une journée remplie,
C’est la preuve, Monsieur, qu’on vit avec la vie.

Et vous me conseillez d’aller me reposer !
Mais si j’acceptais là, ce que vous me proposez,
Si j’abandonnais à votre douce intrigue…
Mais je mourrais, Monsieur, tristement… de fatigue."


Robert Lamoureux

L'édito d'Alex, septembre 2023


Écoute et lecture accélérées


Connaissez-vous cette nouvelle mode d'écouter des « podcasts » et autres « replays » à vitesse fois deux ?

Il parait que c’est parce que tout le monde est pressé.

Pourquoi écouter les gens parler plus vite ? Eh bien pour rentabiliser chaque instant parait-il.

Vérifiez, cette option est proposée sur Youtube, Netflix, et même… France Culture.

Pour ne pas mourir imbécile, j’ai testé des chroniques de « France cul ». Elles durent deux fois moins longtemps.

Mais l’écoute n’est pas qu’un enchaînement de phrases. Il y faut un rythme, une musique, des silences pour comprendre. C’est comme manger deux fois plus vite des merda de can… on sent moins le goût et ça reste sur l’estomac.

J’aime bien aussi lire lentement. Il m’arrive même de ralentir à la fin d’un bon polar pour faire durer mon plaisir de découverte.

Et le Jazz dans tout ça ?

Il y a l’écoute… et le travail.

Pour l’écoute, j’imagine mal écouter « Complete communion » vitesse fois deux... Et vous ?

Pour le travail, je repense à ce vieux prof du conservatoire qui me faisait recommencer des exercices mal digérés de la méthode de clarinette et me disait : « allons doucement, nous sommes pressés ».

Et si, au contraire, on réussissait mieux en prenant le temps de s’appliquer ?

Refaire dix fois le même morceau, voire le même passage avec la difficulté d’une note « en l’air », pour n’avoir plus que le plaisir de l’interprétation ! Oser enfin des silences et allonger les introductions pour créer un climat.

Et, pour terminer, citons un autre clarinettiste (sic), Woody Allen :

« J’ai pris un cours de lecture rapide et j’ai pu lire Guerre et Paix en 20 minutes. De ce que j’ai compris, ça parle de la Russie. »

J’espère ne pas avoir été trop long !


L'édito d'Alex : mai 2023


Fête de la musique : « Esprit es-tu las ? »


Souvenons-nous du slogan relayé en 1982 par Jack Lang : « La musique partout, le concert nulle part ».

La spontanéité de l'événement à ses débuts, ne donne plus le « La » du 21 juin.

Avant, on se pointait à la dernière minute devant les studios de TSF place Saint-François en vieille ville. On tirait une ligne électrique et c'était bon : on pouvait jouer dans une ambiance de kermesse improvisée. À l'arrache. « Faites de la musique ! », matraquaient les premiers spots radio. Quarante ans ont passé. La Fête de la musique est devenue « organisée » par les mairies et/ou les restos. Comme ça on fait le plein !

Les grosses municipalités installent de grosses scènes, et « invitent » des artistes professionnels (avec la bénédiction de la Sacem). Et cela a tué la pratique amateur.

La Fête de la musique institutionnalisée est devenue un bien marchand comme les « fêtes des mères ou des pères ».

Alors pour la Compagnie So What... c’est le seul jour de l’année où l’on ne jouera pas.

Papi fait de la résistance, de l’anarcho-Jazz en quelque sorte !

Et puis ce n’est pas parce que c’est la fête de la musique que tout le monde doit se croire obligé d’en jouer. La preuve, c’est que c’est parce que c’est la Toussaint que tout le monde doit faire le mort !




L'édito d'Alex, janvier 2023


Secrets de répétitions : interpréter un morceau


Il y a une vraie complicité entre les musiciens depuis très longtemps, et un vrai bonheur de parler, les uns et les autres, de ce qui occupe à peu près toute nos réflexions de musiciens de Jazz : interpréter.

Ça peut prendre des dimensions quasiment philosophiques : chacun pour ce qu’il pense du morceau et de son arrangement avant de le fixer pour le public. Et puis, le reprendre parfois quelques années plus tard et le réinterpréter. Les musiciens sont passionnés par le fait de lire un thème pour pouvoir ensuite improviser et le partager avec le public.

Un échange réel, pas toujours facile, mais constructif. Chacun emmène son idée à l’arrangement final. Des arrangements qui deviennent communs, préparés entre nous, et qu’on essaie de partager ensuite avec le public.

Parfois, on n’arrange rien du tout, on commence à jouer et on comprend tout de suite qui doit commencer à improviser, ou à quel moment il faut jouer en duo ou en collectif. Et on le note pour ne pas l’oublier.

Un parallèle avec le théatre et une phrase de Jeanne Moreau : « Un texte, il faut le savoir plus que par cœur ». Ça veut dire quoi ? Quand on offre un arrangement, une interprétation, après des heures et des heures de répétition, seul puis en groupe, le public nous voit vraiment travailler.



L'édito d'Alex, décembre 2022


Le Jazz d’Epicure


Dans le parler de tous les jours, la notion d’hédonisme désigne une vie de jouissance, plutôt un peu amorale. Ceci est inexact, bien sûr. Epicure, philosophe du plaisir, décrit ce qu’est une vie heureuse d’une manière extrêmement sceptique : on éprouve du plaisir lorsqu’on ne souffre pas. C’est donc la souffrance qui est à la base de l’hédonisme. On est heureux lorsqu’on sait écarter la souffrance.

Et comme les plaisirs apportent plus souvent du malheur que du bonheur, Epicure ne conseille que des plaisirs modestes.

Un petit fond de mélancolie dans le blues d’Epicure non ?

Epicure apprend à ses disciples que la seule valeur évidente et sûre de la vie est le plaisir, si modeste soit-il, que l’homme peut ressentir lui-même. La première gorgée de bière, une note « out » placée au bon moment, un spectateur du premier rang qui semble prendre du plaisir à écouter un solo.

Modestes ou non, les plaisirs n’appartiennent qu’à ceux qui les éprouvent ; on pourrait reprocher à Epicure ce comportement égoïste. Alors, prendre plaisir à jouer du Jazz, est-ce un leurre de philosophe ? N’est-ce pas, plutôt, espérer donner du plaisir à celui qui écoute, ou aux musiciens avec qui on joue ?

Il faut attendre le XVIIIème siècle et Choderlos de Laclos avec « les liaisons dangereuses » pour faire sortir à nouveau de l’ombre la notion de plaisir, et faire disparaître les interdits moraux. Ses personnages ne se préoccupent que de la conquête du plaisir. Mais le lecteur comprend peu à peu que ce n’est pas le désir de plaisir, mais le désir de victoire qui mène la danse.

Alors, en Jazz, le plaisir, est-ce une victoire sur les autres, les fameuses «battles », une victoire sur les spectateurs, ou tout simplement une victoire sur soi-même ?

Qui ne se souvient que, lorsqu’il était enfant, on lui faisait entendre le murmure de la mer en posant un coquillage contre son oreille. Et on nous expliquait que la mer était pour toujours enfermée dans le coquillage. Est-ce cela le paradis du plaisir, celui de vivre sa musique à jamais dans une coquille résonnante ?

Epicure a aussi écrit : « l’homme sage ne cherche aucune activité liée à la lutte. »



L'édito d'Alex, octobre 2022


Le souffle des musiciens de Jazz ou des coureurs à pied

Plaisir de l’instant


Le musicien penché sur son instrument ne peut se concentrer que sur la seconde présente de son improvisation ; il s’accroche à un fragment de temps, coupé et du passé et de l’avenir ; il est en dehors du temps ; dans cet état, il ne sait rien de sa femme, rien de ses enfants, rien de ses soucis, et partant, il n’a pas peur, car la source de la peur est dans l’avenir, et qui est libéré de l’avenir n’a rien à craindre.

Le Jazz est un plaisir dont les instruments de musique ont fait cadeau à l’homme. Contrairement au musicien de Jazz et à son souffle, le coureur à pied, par exemple, est toujours présent dans son corps, obligé sans cesse de penser à ses ampoules ou à son essoufflement ; quand il court il sent son poids, son âge, conscient plus que jamais de lui-même et du temps de sa vie. Tout change quand l’homme délègue son souffle à un instrument ; dès lors, son propre corps se trouve hors du jeu et il s’adonne à une improvisation qui est immatérielle, musique pure, Jazz plaisir. Sans compter le petit miracle de l’improvisation de Jazz en groupe, la communion en un seul son.
 

Curieuse alliance : la froide impersonnalité de la technique instrumentale, les flammes du plaisir d’un orchestre de Jazz et le miracle d’un instantané photo. Merci Sophie Serafino pour la photo !


L'EDITO D'ALEX - Octobre 2021 : un rien de partition...


Imaginez que vous soyez musicien dans un groupe de Jazz et que, juste avant de jouer en public, vous n’arrivez pas à remettre la main sur la partition de ce nouveau morceau que tout le monde attend. Vous allez fouiller partout, fébrilement, dans la pièce d’à côté, dans les partitions du concert précédent... et si elle reste introuvable, à la question d’un autre musicien, « sont pas là par hasard », vous répondez « non, il n’y a rien ».


Il est portant inexact de le dire. Il n’y a pas rien dans la pièce d’à côté. Il y a des tas de trucs, des assiettes sales, des verres vides, des vieilles partitions en vrac, des affiches de « Jazz sous les Bigaradiers 2021 », des flyers... En disant « je ne trouve rien », vous dites en réalité autre chose. Vous dites : « il n’y a pas dans cette pièce (ni ailleurs d’ailleurs) la partition que je cherche ». Et c’est l’absence de ce que vous cherchez qui vous fait parler à tort de « Rien ». Vous avez perçu une pièce remplie, mais vous attendiez autre chose, et votre déception l’emportant sur votre perception, vous avez dit « il n’y a rien ».


Comme son nom l’indique, le Rien n’est rien. Mais rien n’est rien ! Tout est déjà quelque chose !


Or, le Rien n’est pas aisé à définir. Le Rien n’est pas le Vide, qui est une réalité physique.


Ni le Néant, qui relève de la métaphysique.


Et le Rien n’est pas non plus le dérisoire « trois fois rien, comme disait Raymond Devos, c’est déjà quelque chose. »


Le Rien n’est rien de tout ça.


Le Rien, n’est que le nom que l’on donne à une attente déçue.


Le fait de dire, agacé, « il n’y a rien » plutôt que « je ne trouve pas ce que je cherche » est une erreur qui vaut pour ses clefs de voiture, ses lunettes, ou la baguette de pain...


C’est le même discours egocentrique. Ce « rien » n’est que la mesure de mon espoir, et que, par conséquent, dire « il n’y a rien » (quand on ne trouve pas la partition que l’on cherche sous le regard des autres) revient à confondre le réel avec le désir qu’on a, de croire que le monde est affreux tant qu’il n’est pas parfait... qu’il n’y a rien à faire tant qu’on ne peut pas tout changer.


Et dans ces cas-là, le plus souvent, ce qu’on raconte vaut moins que rien !

L'édito d'Alex, octobre 2020

"Beauté du Jazz pour toujours"
« Si la vie est éphémère, le fait d’avoir vécu une vie éphémère est un fait éternel »
Vladimir Jankélévitch



Tout passe, tout finit, tout disparaît.
Il n’est pas impossible que même les musiciens de Jazz soient des sortes de chevaux fous, livrés au hasard, qui galopent vers Dieu sait où.
Disons les choses crûment : il est possible que notre musique n’ait aucun sens. On joue, on construit, on écrit, on improvise, et de tout cela, comme de nous, un jour, plus ou moins loin mais le plus tard possible, il ne restera rien.
Vous aurez certainement compris qu’au moment où j’écris cela, je n’en crois pas un mot. L’Histoire, avec l’invention de l’écriture et des mathématiques, Toccata et fugue en ré mineur, ou Gian Steps, tout ce qui est apparu avant de passer, ne peut pas disparaître corps et biens. Ce qui a été a existé. Même si le Jazz comme notre vie ne sont qu’un songe, ce songe là aura tranché sur le néant comme l’a écrit Vladimir Jankélévitch.
La musique de Jazz, nous le savons, vous le savez, n’est pas éternelle. Mais le fait qu’elle existe, ici et maintenant, est une vérité et une beauté pour toujours, et la mort elle-même ne peut rien contre cela.

Alex

L'édito d'Alex, septembre 2020

"Écrivains et musiciens de Jazz"

Les écrivains écrivent mais ne savent pas ce qu’ils écrivent. Voltaire sait bien le rôle qu’il joue dans le siècle, mais il se trompe du tout au tout dans les jugements qu’il porte sur ses propres écrits. Candide, conte irrésistible, il l’appelle « mes petites coyonnades ». Et pour bien enfoncer le clou, il s’obstine en ajoutant : « je serai bien fâché de passer pour l’auteur de Zadig ».
Zadig, chef d’œuvre à mi-chemin entre les Contes des mille et une nuits et les meilleurs polars. Mais, ce que voulait Voltaire, c’est être reconnu comme auteur de tragédie, ce qu’il ne sera jamais. Ce qu’il sera, c’est la conscience d’une époque qu’il incarne mieux que personne. Il est un lanceur d’alarme de son temps, drôle, charmant, jamais ennuyeux. Il est le premier à prévoir la Révolution au cœur du siècle des lumières.
Et s’il en était de même pour les musiciens de Jazz ? Beaucoup veulent être reconnus pour un spectacle prestigieux, avec des danseuses ou un orchestre symphonique avec des « cordes ». Alors que peut-être, ce qu’ils ont fait de mieux et qui mérite la postérité est une improvisation avec leurs tripes dans un petit club d’arrière-pays devant vingt personnes, ou un morceau avec juste quatre notes griffonnées sur un morceau de papier comme Mulatu Astatke, ou dans un petit Festival de Province.

Alex

L'édito d'Alex, juin-juillet 2020

"Plus c'est savant, plus c'est bête"
(Gombrowicz)

(photo : Witold Gombrowicz, par Bohdan Paczowski)

Lu sur un site pour « musiciens » donnant le top 10 des saxophonistes de Jazz : « Si vous ne devez écouter qu'un seul morceau de saxophone, ne choisissez pas un autre artiste que John Coltrane. »

Réflexion après m’être ennuyé pendant un concert il y a quelques années.
S'ils n'avaient pas su que Coltrane était un génie et que le musicien qui interprétait laborieusement « Giant steps » sur scène avait pompé son improvisation note par note, peut-être les amateurs auraient-ils écouté avec moins d'ardeur. Il est également possible que si chacun, écoutant en hochant la tête avec un air béat, avaient bissé, c'est parce que les autres aussi hochaient la tête. Il arrive que chacun pense que les autres éprouvent d'extraordinaires émotions, de sorte que sa propre émotion commence à grandir sur le modèle d'autrui ; et il peut très bien arriver ainsi que, dans une salle de concert, nul ne soit directement enchanté, mais que tous manifestent leur enchantement parce que chacun se modèle sur ses voisins.

Réflexion sur l’improvisation.
Improviser du Jazz est extrêmement facile ; c'est pourquoi c’est extrêmement difficile. Un thème, suivi d’une improvisation en respectant l’harmonie, rien de plus simple, n'importe quel étudiant de conservatoire en est capable. Mais de là à pénétrer sur ce terrain où la musique devient créative, joyeuse...
Pour y parvenir, voici ce que je vous propose : soyez présomptueux, avec une dose d'anarchie et d'irrespect. Soyez également délicats, hypersensibles et égocentriques. En outre, soyez fantaisistes, irresponsables, n’écoutez ni les maitres... ni les petits génies.

Alex

L'édito d'Alex, avril-mai 2020

Jazz d'artichaut : au cœur du plaisir...

Il faut un artichaut cueilli dans son jardin, ou pris chez son maraicher producteur, ou donné par un ami, avec si possible la queue encore un peu longue. Ensuite, il faut le manger à deux ou trois ou quatre, mais pas en repas avec invités. C’est un repas intime, entre amis au Cheiron ou seul chez soi. Rituellement, on penchera l’assiette en glissant dessous, un morceau de la queue coupée avec son laguiole (ou son opinel). Éventuellement, la partie bombée de la fourchette peut remplacer, mais c’est moins bien. On aura devant soi un verre ballon rempli d’un rouge léger, un peu frais, et à côté ou entre-soi une assiette à soupe. On verse dans la partie basse de l’assiette le vinaigre, puis le sel, on triture et on ajoute l’huile. L’ordre est important. On mélange avec la pointe de la fourchette jusqu’ à ce que de petites iles d’un ton rouge-foncé surnagent. On peut alors commencer à manger !
On détache et on jette les première feuilles trop amères (utilité de l’assiette à soupe). On racle ensuite entre les dents la partie claire de la feuille pour arriver à la partie bombée, claire, douce et charnue, que l’on détache avec les incisives en traçant un petit sillon. On dépose le reste dans l’assiette à soupe qui se remplit d’une pyramide verte et presque noire. Et, doucement, car l’on fait durer le plaisir, on arrive à des feuilles plus tendres que l’on déguste un peu plus haut avant d’arriver à la partie charnue, de plus en plus consistante. La pyramide s’éclaircit dans l’assiette à soupe.
Et puis arrive le moment où l’on ne tient plus dans la main qu’une pyramide d’un beau jaune clair. S’il reste une peu d’épines, on les coupe délicatement, mais en général elles sont tendres et pas encore agressives. Notre artichaut est jeune, pas la peine d’enlever la « barbe » du cœur. Mieux, cette légère bourre titillera la langue avec la gorgée de vin frais qui fait exploser les saveurs. On découpe en petites lanières ce cœur et on s’aperçoit qu’il faut rallonger la sauce avec juste « una raiada d’oli » pour enrober parfaitement chaque petit morceau, mélange étonnant de bourre légère, de chair ferme, presque dure, et de feuilles tendres, presque transparentes. Une dernière gorgée de vin pour un plaisir parfait.

Le rituel est semblable lorsqu’on commence un nouveau morceau. Une fois choisi, il faut déchiffrer doucement, mesure par mesure. Puis on poursuit, portée par portée lorsque cela devient plus consistant. Une gorgée de Whisky permet d’apprécier les progrès. Et puis, on finit par déguster l’ensemble, après plusieurs répétitions, et, lorsque tout va bien, on arrive enfin à improviser sur cette idée qu’est un nouveau morceau pour un plaisir parfait. Plaisir complexe car il est différent et complémentaire pour celui qui l’a écrit ou arrangé, celui qui le joue, celui qui écoute les autres musiciens pour qu’il devienne un tout, et enfin, peut-être, un jour, quand tout va bien, pour le public qui écoute un travail collectif... sans voir tout ce qu’il a fallu mettre avant dans l’assiette à soupe pour enfin déguster le cœur !

Retrouvez les éditos du So What ICI.

L'édito d'Alex, mars 2020

Jazz et vin...

En 2003, le thème du Festival de Jazz de La Gaude, était... Jazz et vin.
Mais l’histoire remonte bien avant !
Il semblerait que l’on vienne de trouver en Iran le témoignage que si l’homme en général et le musicien de Jazz en particulier boivent, c’est parce qu’ils ont bu.
Je m’explique : des archéologues ont trouvé en fouillant du côté des monts Zagros la preuve que le penchant de l’homme pour le vin remonte, non pas à l’époque romaine, mais ... au néolithique, à l’âge de la hache polie.
En gros, nous levons le coude tous les derniers samedis du mois depuis 10 000 ans. C’est dire le temps qu’il faudrait pour perdre cette bonne habitude. Donc, lorsque notre aïeul en avait assez de polir des pierres (!), il soulevait sa jarre et cherchait dans la boisson l’inspiration pour chanter, pour (déjà) chasser les virus, ou pour oublier sa triste condition de ne pas avoir inventé la trompette. Mais que buvait-il ? Selon des chercheurs très sérieux de l’Inra(e) à qui ces archéologues ont envoyé des échantillons de jarres récoltés dans les grottes iraniennes, notre aïeul était déjà musicien de jazz puisqu’il buvait ... du vin, ou du moins, une boisson à base de raisin et d’une résine de rébinthacée destinée à éviter que le vin ne se transforme en vinaigre.
Malgré tout, ces chercheurs n’ont pas pu déterminer si ce picrate était rouge... ou blanc !
Consolons-nous en continuant à tester les deux avant nos concerts... !

L'édito d'Alex, décembre 2019 - janvier 2020

L’amour du Jazz est comme un coin à champignons

« J’ai découvert Mulatu Astatke grâce à La Compagnie So What le 16 novembre lors du Festival Jazz sous les Bigaradiers ».
Un joli compliment reçu par mail, comme un coulis de framboise sur l’ego des musiciens. Mais au-delà, un plaisir inconnu.
Faire découvrir une musique, mais quoi au juste, le rythme, la mélodie, une interprétation ? Cela a dû être délectable de découvrir un plaisir nouveau. Cela fait penser aux plaisirs minuscules de Delerm. La première gorgée de Mulatu ! Une manière de partager le plaisir de la musique de Jazz. Mais comment savoir ce qui a réveillé ce plaisir chez l’auditeur ? En fait, je n’ai pas envie de le savoir vraiment. Le plaisir minuscule doit rester personnel. Chaque personne reste une île, courtoise, certes, mais qui se laisse accoster sans se faire envahir.
Le plaisir des autres est un ailleurs. Le simple fait d’imaginer un seul spectateur découvrir le jazz Ethiopien que nous avions nous même apprivoisé depuis peu est un plaisir en soi constaté dans ce petit message « J’ai découvert Mulatu grâce à La Compagnie So What ».
Le plaisir des autres, c’est un peu comme les coins à champignons. On vous désigne approximativement l’endroit, mais il manque la précision qui vous permettrait d’aller directement au petit rocher qui cache la première morille. Et c’est comme cela que ce doit être. Les vrais coins à champignons sont ceux qui vous appartiennent en propre. Comment la découverte d’une morille parfaite, dressée entre une pierre et un coin de mousse pourrait procurer le même sentiment de possession du Cheiron si un autre vous l’avait dévoilé. Il ne s’agit pas de refuser le partage, on amène souvent des amis avec nous au printemps. Il s’agit de distinguer dans l’équilibre du plaisir la valeur de l’attente et de la découverte propre.
Il n’existe avec le Jazz, qu’un autre domaine où le plaisir de l’autre compte davantage que le sien. Et ces plaisirs là resteront toujours un mystère. C’est pour cela aussi que l’on fait l’amour.
... allez, à l’an que ven !

L'édito d'Alex, septembre 2019

Egarement de site...
...et autres objets perdus et objets trouvés


Les changements initiés par le progrès peuvent parfois être inattendus.
Ainsi, Laurent a eu la mauvaise surprise un beau matin de ne plus pouvoir trouver le site du So What, ou plus exactement de ne plus pouvoir trouver l’outil pour le mettre à jour ... au moment des Rencontres !
Il a fallu qu’il construise un nouveau site qui, vous le constaterez, est beaucoup mieux que le précédent. En tous les cas, moi, j’aime beaucoup.
Pour ce faire, logiquement, il est tout d’abord allé demander au service des objets trouvés (perdus ?) si personne n’avait ramené un outil de mise à jour du So What.
Rien ! Mais ce fut l’occasion de prendre connaissance d’une étude récente sur l’évolution des objets trouvés.
Première constatation, pendant très longtemps, le parapluie fut en tête des objets perdus, suivi de près par chapeaux et casquettes.
Rien n’est venu leur prendre cette place de premier rang dans une société où  chacun s’efforce de ne ressembler à personne et où nous égarons les objets les plus variés.
C’est à peine si les téléphones mobiles peuvent prétendre au titre d’objets le plus souvent perdus.
On note cependant que parmi la centaine de milliers d’objets recueillis, le nombre d’instruments de musique est si nombreux que l’officine chargé de leur gestion pourrait facilement monter un orchestre symphonique. On remarquera (sans se l’expliquer) que les cuivres sont plus souvent perdus que les cordes ou les bois, et en particulier ... les saxophones.
Thomas pourrait peut-être essayer de réclamer un baryton perdu dans le tramway niçois ! Sait-on jamais...
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